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On peut utiliser mille périphrases pour dire la même chose, elles n’auront jamais la puissance de ces trois mots, qui sont comme une formule magique capable de transformer la réalité : je t’aime. Les linguistes les considèrent comme une phrase « performative » : une parole autant qu’un acte qui produira un effet (comme « la séance est ouverte » ou « je vous déclare mari et femme »). Un effet, oui, mais lequel ? Combien de phrases peuvent provoquer chez l’autre des élans si diamétralement opposés ?
Dans la vie comme au cinéma, la déclaration est un moment d’éclaircissement. Le silence qui suit la déclaration est le plus terrible qui soit. Pour celui qui a parlé comme pour celui qui ne sait pas quoi répondre. Mentir en disant « moi aussi », c’est a priori aussi amoral que stupide. « Le mensonge amoureux est un rapt violent de l’espace partagé, commun, de la vérité des choses », écrit Véronique Nahoum-Grappe dans un texte intitulé « “Je t’aime !” Faut-il y croire ? » (revue Hermès, n° 84, 2019).
Si le moment peut constituer un dilemme, c’est parce que d’autres élans peuvent venir compliquer ce principe évident selon lequel « il ne faut pas mentir », et encore moins en amour. On peut dire « moi aussi » parce qu’on ne veut pas faire souffrir l’autre, ou parce qu’on aimerait que ce soit vrai. Par gratitude, parce qu’on est tout de même heureux d’être aimé. Pour la beauté du geste, parce qu’on est emporté par la déclaration. Ou parce qu’on refuse cette rupture de réalité qu’impliquerait de dire « moi pas ». On ment parce que « la torture la plus affreuse qu’un homme puisse éprouver, à présent je le sais, c’est d’être aimé malgré soi. Et c’est un tourment à nul autre pareil, que cette culpabilité dans l’innocence », écrit Stefan Zweig dans La Pitié dangereuse (1939).
Le roman pousse le dilemme à son point le plus douloureux : le héros est aimé d’une jeune femme handicapée, qui ne lui inspire ni désir ni sentiment amoureux. C’est par pitié qu’il se dit : « Laisse-la t’aimer, dissimule, feins pendant ces huit jours pour ménager son orgueil. » L’histoire, évidemment, ne finit pas bien. Car « c’est le propre de ceux qui aiment de percevoir de façon étrange les véritables sentiments de l’être aimé », écrit encore Zweig. Pire que le silence, pire que la vérité, il y a le mensonge qu’on devine. « Il n’y a rien de plus beau, pour libérer quelqu’un, de lui dire “je ne t’aime pas”. C’est plus courageux que de dire “je t’aime” », nous écrit une femme de 43 ans qui attend en vain une déclaration de non-amour de la part de celui qu’elle aime.
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